Je vois ordinairement, que les hommes, aux faicts qu’on leur propose, s’amusent plus volontiers à en chercher la raison, qu’à en chercher la verité : Ils passent par dessus les presuppositions, mais ils examinent curieusement les consequences. Ils laissent les choses, et courent aux causes. Plaisans causeurs. La cognoissance des causes touche seulement celuy, qui a la conduitte des choses : non à nous, qui n’en avons que la souffrance. Et qui en avons l’usage parfaictement plein et accompli, selon nostre besoing, sans en penetrer l’origine et l’essence. Ny le vin n’en est plus plaisant à celuy qui en sçait les facultez premieres. Au contraire : et le corps et l’ame, interrompent et alterent le droit qu’ils ont de l’usage du monde, et de soy-mesmes, y meslant l’opinion de science. Les effectz nous touchent, mais les moyens, nullement. Le determiner et le distribuer, appartient à la maistrise, et à la regence : comme à la subjection et apprentissage, l’accepter. Reprenons nostre coustume. Ils commencent ordinairement ainsi : Comment est-ce que cela se fait ? mais, se fait-il ? faudroit il dire.
Michel de Montaigne, Essais, III, 11