Une seule et même émotion peut avoir deux effects distincts. D’une part, elle suggère à l’acteur des préférences qu’il aurait désavouées avant d’être assailli par l’émotion en question et qu’il va récuser quand elle se calme. D’autre part, par son impact sur la formation des croyances, l’émotion fait entrave à la réalisation rationnelle de ces préférences temporaires. On ne veut pas ce qu’on devrait vouloir; mais, comme on ne peut pas faire efficacement ce que l’on veut, le danger est écarté ou réduit. Cette idée optimiste de deux négations qui s’annulent l’une l’autre ne correspond pourtant pas à une tendance universelle, car elles peuvent également s’ajouter l’une à l’autre. Prenons le cas de la vengeance. Alors que le sang lui bout dans les veines à la suite d’un affront, un agent décide de se venger sur-le-champ, ce qui l’expose à plus de risques que s’il prenait son temps pour chercher le lieu et l’heure qui conviennent. Le risque est minimal s’il ne se venge pas (je fais abstraction des sanctions que d’autres pourraient lui imposer pour le punir de sa ourdisse). Il est plus grand quand il se venge, mais prend son temps pour concocter les détails de cette vengeance. Il est maximal quand il cherche à se venger sans délai. Ainsi l’émotion augmente doublement le risque.
Jon Elster, Agir contre soi: la faiblesse de volonté, Paris, 2007, pp. 58-59